Une enfant comme les autres

En matière de santé mentale, des dispositifs complets de soutien de proximité doivent remplacer les soins en institution.

Par Lea Labaki
The author Lea Labaki holding a cat
UNICEF/Lea Labaki
14 avril 2022

J’avais 13 ans la première fois que j’ai été admise à l’hôpital. C’est à ce moment-là que j’ai su que je n’étais plus une enfant comme les autres.

Ce jour-là, lors de mon admission, j’ai été placée dans l’unité de pédiatrie générale parce qu’il n’y avait plus de place dans l’unité de pédopsychiatrie. Mon père est resté avec moi. Cependant, une heure avant la fin des visites, une infirmière lui a demandé de partir : les enfants admis pour des troubles psychiatriques étaient soumis à des règles différentes – les visites étaient limitées. Il est parti, alors que tous les autres parents sont restés. Voilà comment j’ai su que je n’étais pas comme les autres.

J’étais entrée dans un monde différent. Un monde dans lequel les adultes chargés de nous soigner avaient des pouvoirs illimités sur nous. Un monde dans lequel le fait d’exprimer sa détresse était considéré comme une mauvaise conduite et dans lequel cette mauvaise conduite était sanctionnée par la sédation. Les médicaments étaient un élément central de la prise en charge des enfants. Je me suis vite rendu compte qu’on nous administrait le même sédatif à tous, à la différence que celui des petits était mélangé avec du sirop afin qu’ils ne se plaignent pas de son mauvais goût.

Aussi étrange qu’il ait pu paraître au début, ce monde est rapidement devenu le mien. Je me suis adaptée, comme le font les enfants. Quelques semaines plus tard, l’hôpital était devenu ma nouvelle normalité. Mes parents ne me manquaient plus. J’ai arrêté de me demander ce qu’il se passait à l’école. Je prenais mes comprimés avec obéissance. J’avais fini par comprendre que si j’opposais trop de résistance, on m’injecterait un médicament puissant et on m’attacherait à mon lit pendant un moment.

Les contentions chimiques et physiques constituent de graves atteintes aux droits humains. Pourtant, cela ne semblait gêner personne. Contrairement aux adultes, les enfants sont habitués à être soumis à l’autorité. Tout le monde trouve cela normal de contraindre les enfants. Résultat, j’étais incapable de discerner la limite entre la discipline acceptable et la maltraitance. Le personnel aussi avait probablement du mal à discerner cette limite. La plupart n’étaient pas de mauvaises personnes. Ils faisaient ce qu’on leur avait enseigné et étaient sincèrement convaincus que c’était la seule manière de nous aider.

Je ne suis jamais redevenue une enfant comme les autres. Je me suis si bien adaptée qu’à ma sortie de l’hôpital, j’avais oublié comment vivre en société. Je ne me sentais plus à ma place chez moi ni à l’école. Mes pairs étaient devenus de parfaits étrangers. Déplacés dans un nouvel environnement, les enfants perdent rapidement contact avec leur vie passée. Les institutions de santé mentale ne sont pas seulement un terrain fertile pour les violations des droits humains, mais rompent aussi les liens sociaux. Pour les jeunes, ce premier retrait de la société peut marquer le début d’une vie d’isolement et d’exclusion.

Bien que les opinions sur la santé mentale évoluent de manière positive, un nombre incalculable d’institutions psychiatriques à travers le monde continuent de conditionner des enfants, qui, une fois adultes, penseront que la détresse psychologique justifie la contrainte et la ségrégation. Il est grand temps d’agir pour qu’en matière de santé mentale, les soins en institution soient remplacés par des dispositifs complets de soutien de proximité. Ces systèmes doivent encourager l’inclusion plutôt que l’isolement et travailler avec les enfants et non contre eux. Ils doivent reconnaître que les enfants aussi ont des droits – notamment celui de ne pas subir de violences et de jouer un rôle de premier plan dans leur propre traitement et leur guérison.

Il n’y a pas de meilleur moyen de promouvoir la santé mentale que de faire comprendre à la prochaine génération que la détresse psychologique n’est pas un comportement déviant qu’il convient de réprimer et de cacher, mais qu’il s’agit juste d’une facette normale de l’expérience humaine. Or pour y arriver, l’abandon du placement en milieu fermé et le soutien de proximité sont essentiels.

Lea Labaki a eu recours à des services de santé mentale dans sa jeunesse et défend aujourd’hui les droits des personnes atteintes de handicap psychosocial. Elle est titulaire d’un master en droits humains et en action humanitaire. Ses études l’ont amenée à prendre conscience de ce que ses expériences en psychiatrie impliquaient en matière de droits humains et l’ont décidée à se spécialiser dans les droits des personnes handicapées. Lea Labaki vit en Belgique.

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Le Blog de l’UNICEF vise à promouvoir les droits des enfants et leur bien-être, ainsi que les idées permettant d’améliorer leur vie et celle de leur famille. Vous y découvrirez les observations et les opinions de grands experts mondiaux des droits de l’enfant ainsi que des récits de membres du personnel de l’UNICEF présents sur le terrain dans plus de 190 pays et territoires. Les opinions exprimées dans le Blog de l’UNICEF sont celles de leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’UNICEF.

 

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